Léo Dantidi
Léo Dantidi - (Florence 1695 – Rouilly 1775)
Fils du comte Ambrosio Dantidi, Léo est élevé dans les fastes aristocratiques de FLorence. Il se montre un élève curieux de tout, étudiant la philosophie, les lettres anciennes, plusieurs langues européennes, en particulier le français qu’il pratiqua couramment très tôt ; mais aussi l’histoire naturelle et les arts libéraux. Son dernier précepteur le décrit comme brillant mais ombrageux, tourmenté, passionné, capable de réactions extrêmes en certaines circonstances. En 1715, il fait partie de la délégation représentant la ville de Florence aux obsèques de Louis XIV. Il découvre avec enthousiasme Versailles. Il reviendra à deux reprises en France.
A Florence, Léo s’éprend de la jeune Aurélia Biasini. En 1718, c’est le début d’une passion que n’arrêtent pas les murs du couvent où est cloîtrée la jeune fille. Un scandale éclate rapidement, la notoriété des familles des jeunes amants évite le pire mais Léo doit s’exiler. Grâce à la protection d’un oncle prélat, il est nommé secrétaire de l’ambassade de Florence à Versailles. Aurélia, enfermée dans un établissement religieux de Sicile meurt peu après, mettant au monde une petite fille née le 9 décembre 1719. La nouvelle affecte profondément Léo Dantidi qui, multipliant les demandes, se rend en Italie pour obtenir qu’on lui remette l’enfant. Il affronte en vain l’opposition de sa famille autant que de celle de la famille Biasini. Apparemment, en tout cas, officiellement, il ne reviendra jamais en Italie.
De retour à Paris en mai 1720, Léo entreprend des études approfondies de dessin. La fortune familiale lui permet, l’année suivante, de faire l’acquisition d’un hôtel à Paris dont il fait reconstruire une aile selon ses propres plans, réalisant une audacieuse articulation baroque à un corps de bâtiment classique. Un jardin intérieur de sa conception est également aménagé. Sa vie mondaine, malgré un chagrin intérieur corrosif, comme l’atteste sa correspondance avec sa mère, commence à être remarquée. Il devient une des figures remarquées de l’entourage du régent Philippe d’Orléans. Il organise pour ce dernier deux fêtes en son hôtel parisien en 1722 et lui offre les dessins de deux « jardins pour les châteaux du domaine royal ». Aucun d’eux ne sera toutefois réalisé.
Léo fait la connaissance de François-Marie Arouet qu’il soutient auprès du régent à des heures difficiles. De 1724 à1726, il voyage beaucoup en Europe : Angleterre, Pays-Bas, Suède, Prusse, Russie. De nombreuses lettres expriment son regard critique sur le conservatisme qu’il perçoit dans la haute société italienne, confiant à sa mère toute son amertume face au faible écho reçu par les idées nouvelles apparaissant un peu partout en Europe, amertume qui s’ajoute à sa persistante douleur d’être séparé de sa fille Sylvia qui a maintenant plus de cinq ans. Il juge cette situation d’un obscurantisme féroce. En janvier 1727, il quitte toute fonction de représentation diplomatique, non sans ironie d’après certaines archives florentines et se rapproche définitivement de nombreuses personnalités qui ne tarderont pas à s’affirmer comme les grandes figures de ce qu’on appellera « Les Lumières ».
Léo rencontre le jeune Comte Buffon, ils ont en commun la passion des plantes et voyagent ensemble à plusieurs reprises à travers différentes régions de France. A partir de 1728, il conçoit de nombreux jardins pour ses amis « détournant l’esprit des jardins à la française au profit de tracés et de compositions en trompe l’œil, pièces d’eau et sculptures végétales jouant un rôle nouveau et très particulier tendant à créer une atmosphère allant du féérique à l’étrange. » (Arnold S. Broomsdale. Columbia University. 1954) Ses réalisations sont très remarquées et deviennent à la mode. Il travaille avec Jacques Ange Gabriel à divers projets.
Toutefois, l’aspect nouveau de ses jardins où sont créées des œuvres de Couperin et données de somptueuses fêtes agace quelques esprits. Des rumeurs décrivent l’atmosphère de ces fêtes comme pouvant être licencieuses, on va jusqu’à insinuer que de très jeunes garçons et jeunes filles y joueraient un rôle troublant. Une réputation ambiguë commence à voir le jour concernant Léo Dantidi, « le florentin ». Celui-ci fait à cette époque de fréquents séjours en Angleterre et aux Pays-Bas.
En mai 1730, Sylvia Dantidi, âgée de 11 ans, disparaît de la Ville de Luca où elle était en nourrice. L’affaire est obscure, la fillette ne fut jamais retrouvée. Sa grand-mère, Maria Emilia Dantidi, dans son immense chagrin entreprend de nombreuses démarches et enquêtes fort coûteuses pour retrouver l’enfant. Son fils Léo ne semble pas, dans sa correspondance, encourager outre mesure les démarches de sa mère. Certains feront de cette attitude une base plausible du soupçon de complicité de Léo dans ce qui sera finalement déclaré être un enlèvement. Rien ne viendra toutefois étayer irréfutablement ces allégations. Cependant cet événement ne contribue pas à dissiper un climat qui s’alourdit autour de Léo. Brillant, dispendieux, volontiers ironique, hautain peut-être, en société, il ne cache pas ses rapports de plus en plus étroits avec Voltaire puis avec le jeune Denis Diderot dont il est attesté qu’il paya à plusieurs reprises les dettes. Léo dérange, agace les dévôts de l’entourage de Louis XV. Léo, n’en continue pas moins de mener une vie où se mêle plaisir et études. Si on le dit libertin, on ne peut nier la valeur de ses recherches dans le domaine des formes qui s’expriment dans l’agencement de jardins aristocratiques tant à la campagne qu’à la ville, en France comme en Angleterre. Son art est souvent inscrit par les commentateurs dans « l’âge baroque » bien qu’on ne puisse l’y réduire. Certes, les documents qui nous restent (collections privées pour la plupart) : dessins, plans, indications techniques, malheureusement fort peu de textes ou commentaires, attestent de la recherche baroque de la mise en scène des extrêmes. Cependant, l’accent semble plutôt mis sur les déclinaisons du thème du double qui recèle l’unicité. Pièces d’eau, verrières, sculptures, jeux de symétries et d’asymétie créent une atmosphère de labyrinthe qui entraîne le promeneur dans les arcanes délicieux d’une nature inexorablement diverse et sensuelle. Considérée comme outrancière cette manière est rejetée par quelques uns, d’autres sont profondément admiratifs et sous le charme.
C’est vers 1742 que Léo Dantidi établit une liaison avec la très belle et fort jeune princesse italienne aux origines obscures, une certaine Appolina de Florentis, ayant rang de dame de la cour auprès de la reine , épouse de Louis XV.
C’est à cette même époque qu’il fait la connaissance de Jean Le rond d’Alembert puis de Jean Jacques Rousseau. Il voyage à nouveau, va même en Amérique, plus précisément en Pennsylvanie. A son retour, il retrouve Paris, ses lumières et ses luttes qui ne restent pas toujours au niveau le plus élevé. Il est à nouveau la cible de billets venimeux. Son amitié avec Madame de Pompadour écarte toutefois des oreilles du roi les attaques les plus sournoises. Cette atmosphère polémique stimule encore son activité.
Il soutient l’imprimeur Le Breton dans son projet d’Encyclopédie et s’enthousiasme quand ses amis Diderot et d’Alembert en prennent la direction en 1747. Période stimulante sur le plan intellectuel qui le projette plus que jamais sur le devant de la scène parisienne, ce qui le laisse aussi exposé dans quelques conflits qu’entraîne, par exemple, la publication de « la lettre sur les aveugles » (Diderot lui même est emprisonné), puis celle des deux premiers volumes de « l’encyclopédie ou dictionnaire raisonné des Arts et Métiers. » Il engage des sommes importantes dans la poursuite de l’entreprise malgré l’interdiction du Conseil d’Etat, il envisage d’écrire un article sur « les parcs et jardins » et en commence vraisemblablement les textes et des dessins.
En 1758, n’ayant pas eu la prudence de s’éloigner de l’entreprise comme l’avaient fait auparavant Rousseau, Voltaire et d’Alembert, restant fidèle à Diderot, il est une des cibles notoires de pamphlets qui alimentent la guerre allumée par Palissot. La meute conservatrice trouve en lui, l’étranger, scandaleux dans ses moeurs, déroutant dans ses recherches, une victime de choix. Ses anciennes et prestigieuses amitiés ne lui servent de rien. Il est ouvertement accusé de commerce douteux avec les enfants, puis bientôt de liaison incestueuse, certains voulant voir en sa maîtresse Appolina de Florentis, sa propre fille. La tourmente est forte. Ni les esprits éclairés ni les aristocrates avisés n’osent un mot, et Léo Dantidi est finalement embastillé le 14 mai 1760. Mademoiselle de Florentis quitte Paris. On ignore l’essentiel de ces années de prison, sa correspondance étant interrompue ou détruite par la censure. Finalement libéré en février 1768, très affaibli et totalement ruiné, il s’établit dans ce qui lui reste de sa propriété de Rouilly à l’ouest de Paris où il mène une vie quasiment recluse. Il s’y éteint en novembre 1775.
Mme Josiane Bernet, héritière en 1924 du château de Rouilly dans l’Oise, signale, après des travaux de restauration et de débroussaillage, à proximité de la petite chapelle jouxtant la grande pièce d’eau du domaine, la présence d’une stèle fort délabrée dont la pierre tombale porte la laconique inscription « Appolina-Léo ». Le domaine de Rouilly avait été confisqué en 1793 au marquis de Quinceul, émigré, qui avait épousé en seconde noce Mlle Appolina de Florentis en 1768.
Personnage controversé aux contours parfois difficiles à cerner, Léo Dantidi, ne laisse finalement derrière lui ni postérité ni œuvre. La plupart des jardins aménagés selon ses plans ont été détruits ou ont périclité par négligence, indigence ou ignorance au cours du XIXe siècle. Le parc du château de Downsfield (Sussex), propriété du Duc de Windsor semble être une des rares survivances de ses compositions. Seuls les documents graphiques largement dispersés dans des collections particulières, notamment aux Etats-Unis, peuvent donner une idée plus précise d’une œuvre dont le destin s’inscrit dans un éphémère que l’auteur aurait probablement revendiqué.